Avant même que je toque, la porte s’ouvre. Un jeune homme à lunettes me dévisage puis s’écarte pour me laisser entrer. Il verrouille la porte derrière moi puis m’accompagne jusqu’au salon où il me fait signe de m’asseoir. Il porte un pull en laine qui lui donne l’air âgé et pourtant, ma fiche me confirme que je suis bien chez le plus jeune membre de la troupe, Bastien Guiraudou.

[I] Bon, alors on va commencer, comment ça va ?
[B] Fort bien fort bien, je viens de prendre un thé accompagné de délicieux gâteaux normands.
[I] Oh ! Il en reste ?
[B] Non. [silence] C’est con, ils étaient très bons.
[I] … J’imagine … Qu’est-ce que ça fait d’être le benjamin de la troupe ?
[B] Rien à voir je suis le Bastien de la troupe, une bonne fois pour toutes NOUS SOMMES DES INDIVIDUS DIFFÉRENTS vidvocjxnxknb,dpf
[I] Et pourtant on n’arrête pas de vous confondre, ça doit être dur à vivre ! Un peu comme si quelqu’un dégustait devant vous une assiette de délicieux gâteaux normands sans vous en proposer alors que vous n’avez pas eu le temps de déjeuner …
[B] … C’est Benjamin qui aime les métaphores …
[I] Bref, trêve de gâteaux normands (gargouillis d’estomac), parlons de ta pire honte, je veux dire, de ta toute première scène ?
[B] La première fois, j’étais en sixième, j’avais 12 ans donc, c’était dans le cadre d’un spectacle dans mon collège. J’avais joué deux petits sketchs que je trouvais bien rigolos à l’époque. J’en étais assez content mais je suppose qu’en regardant ça aujourd’hui ce serait pas pareil …
[I] Et si je te disais que j’ai retrouvé une vidéo de tout ça ?
[B] HAHA, c’est faux
[I] Non, c’est vrai !
[B] Tu bluffes Martoni !
[I] Je m’appelle pas Martoni, je suis le gentil Intervieweur ! Bon. Et OK, je bluffes, je n’ai pas ENCORE trouvé cette vidéo (rires). En tout cas tu as de la répartie, c’est l’impro qui t’as appris ça ou tu as toujours eu cette verve ? D’ailleurs ça t’es venu comment de t’y mettre à l’impro ?
[B] Euh… j’ai vu un spectacle je crois, ça devait être un catch, et j’ai voulu en faire. Et ça tombait bien, y’avait une troupe dans mon école !
[I] C’est un peu bateau ça comme origin story, nan ? (rires) Je plaisante, allez, c’est quoi pour toi le Comptoir de l’Imaginaire ?
[B] C’est avant tout des amis, une belleuh bandeuh de copaings. On rigole et on fait de l’impro assez sympa.

[I] On vient de passer de la Normandie à la région PACA, on sent que tu as énormément d’influences culturelles. Influences que tu mets au service de la scène, par exemple dans Et Si ?
[B] Oh la transition subtile ! J’aime beaucoup Et Si. Inventer des mondes complètement délirants et les rendre crédibles le temps d’une histoire ça me plaît.
[I] Clair et concis, j’aurais pas beaucoup de retranscription à faire ! (rires) Y a un Et Si que tu rêverais de jouer ?
[B] Et si il n’y avait que les enfants qui avaient le droit de vote. J’aimerais beaucoup voir tout le monde essayer de séduire les enfants pour se faire élire, en essayant quand même de faire des vrais propositions. Ou de voir le populisme pour enfant.
[I] Un monde terrifiant et en même temps très rigolo ! Et dans Timeline, qu’est-ce qui te fait vibrer ?
[B] Hum, comme pour Et Si je pense, faire une histoire crédible dans un univers qui n’est finalement pas le nôtre.
[I] T’es un garçon constant, c’est bien ! Y a une époque qui te passionne particulièrement ?
[B] Toutes les époques où peuvent figurer des bons méchants. Donc à peu près toutes en fait. La seconde guerre mondiale, la guerre froide, l’époque western, etc..
[I] Et tu aurais aimé y vivre ou non ?
[B] Je ne crois pas non… Je survivrais pas trop longtemps en milieu hostile.
[I] Ah ben c’est sûr que y a pas de gâteaux normands dans ces époques-là… Mais si jamais, je viens d’acheter une Delorean sur Le bon coin, si jamais hein.
[B] Sur le budget du comptoir ?
[I] Euh … Troisième et dernier format, lalala, qu’est-ce que tu penses de Directors ?
[B] J’aime me faire diriger et jouer des choses que je ne ferais pas moi-même, diriger et voir ou le mélange de mon univers et celui des comédiens nous emmène. On est amenés à faire des choses qu’on aurait jamais fait seul, et nos histoires prennent des directions insoupçonnées.
[I] Ah ben comme moi avec les interviews, j’ai mon canevas et en même temps, j’aime me laisser surprendre par les gens que j’interroge. Par exemple, qui aurait cru qu’on parlerait autant de gâteaux normands ? Hum ? Bref, euh, ah oui, toi qui es grand fan de cinéma, c’est qui ton réal préféré ?
[B] Tarantino évidemment, ou les frères Coen, pour leurs scènes de suspens incroyables, et leurs histoires à la fois très simples et très compliquées, avec des personnages très forts.

[I] Je parie que t’aurais kiffé jouer un de ces rôles ?
[B] OUI. BEAUCOUP. DONNEZ MOI LEUR 06 WALLAH
[I] OUI ET BEN MOI J’AURAIS BIEN AIMÉ AVOIR DES GÂTEAUX NORMANDS ET DANS LA VIE ON N’A PAS TOUJOURS CE QU’ON VEUT ! (silence gêné) Pardon, euh, je suis sûr que tu t’en serais bien sorti.
[B] A moi l’oscar.
[I] Et le melon.
[B] Quoi ?
[I] Qu’est-ce que ce serait ton concept préféré des trois ?
[B] Et Si ! C’est le plus original des trois pour moi, au vu de ce que je joue à côté. Et puis c’est un peu notre spectacle fondateur <3
[I] C’est mignooooon. Allez, dernière question sérieuse après je vais manger, c’est quoi tes envies du moment en impro ? Et en exclu, si tu devais créer un nouveau concept là tout de suite avec le Comptoir, ce serait quoi le point de départ ?
[B] Euuuuuuh. L’alexandrin. Allez hop. Non je déconne, probablement le meurtre et comment on en arrive là, c’est à dire qu’est-ce qui peut pousser quelqu’un au delà de cette limite. La jalousie, l’amour, des questions d’Intervieweur trop pressantes …
[I] Euuuuuh, je vais y aller moi, déso d’avoir insisté pour les gâteaux, c’est par là la sortie ?
[B] Tu dois pas me poser une question sur mes résolutions pour 2019 ?
[I] Non non, c’est bon, c’est fini, pourquoi cette porte s’ouvre pas ?!
[B] Mais si regarde c’est écrit sur ton calepin : “j’ai passé un excellent moment en ta compagnie …”
[I] Hahaha, hé ben oui, c’est vrai, moi aussi, salut !
[B] Un petit mot pour la fin, une résolution pour 2019 ?
[I] Me barrer d’ici vivant !
[B] (ouvre la porte)
[I] (s’enfuit en courant)
[B] Tchuss.
Je m’arrête de courir trois pâtés de maison plus loin pour reprendre mon souffle. J’ai toujours faim mais je suis en vie. L’air frais de l’hiver me brûle les poumons. Mon rythme cardiaque se calme peu à peu quand soudain une main se pose sur mon épaule. Je hurle de toutes mes forces et fait volte-face pour me retrouver nez à nez avec le prochain improvisateur. Tintintiiiiiiiiin, suspense !