J’arrive en soirée en face de la devanture d’un bar gaming. J’entre silencieusement, observant avec curiosité les groupes d’amis qui rient, les consoles, les bornes d’arcade, les écrans de PC, les bières partagées. Je m’approche du serveur et indique que je suis attendu par le dénommé Patac. Il hoche la tête d’un air entendu et m’invite à le suivre. Nous descendons les escaliers pour atteindre un sous-sol illuminé à la bougie. Au centre, un tonneau massif en guise de table, une corne d’hydromel à la main, enveloppé d’une cape noire dont la capuche lui recouvre la moitié du visage, se trouve mon interlocuteur.

[I] Bonjour …
[P] Qu’entendez-vous par là ? Me souhaitez-vous le bonjour ou constatez-vous que c’est une bonne journée, que je le veuille ou non, ou encore que c’est une journée où il faut être bon ?
[I] … Tout cela à la fois, je suppose ! [il sourit] Comment vas-tu ?
[P] Tranquille. Pour une fois qu’on peut répondre à une interview en caleçon …
[I] Oh ! Je n’avais pas vu que, enfin, très bien très bien, j’espère que la cape et le caleçon sont confortables, j’entends bien tout savoir de toi l’ami ! Quelle fût ta toute première performance de troubadour ?
[P] Alors ça va être plutôt flou parce que ça fait longtemps, je devais avoir 7 ou 8 ans et mes parents m’avaient inscrit dans un cour de théâtre. Après des répétitions on avait joué Blanche Neige et les 7 nains devant les parents de tout le monde, dont les miens qui évidemment se sont senti obligé de tout enregistrer sur cassette vidéo. Peut-être que le fait que je déteste me voir jouer vient de là, c’est une bonne piste en tout cas.
[I] Je parie que tu jouais Grincheux !
[P] [Boit une gorgée d’hydromel]
[I] … Donc les rôles écrits n’ont plus de secrets pour toi et un jour tu franchis le seuil de ce monde d’imprévu et de spontanéité qu’est l’improvisation ?
[P] Un peu par hasard à vrai dire, tout comme la reprise du théâtre d’ailleurs, je me suis lié d’amitié avec des théâtreux lors de ma première année d’école supérieure qui m’ont fait (re)découvrir ce milieu. Au bout d’un moment, je me suis dit : « Et pourquoi pas moi ? », et me voilà.
[I] Mais un artiste n’est pas complet sans une troupe de joyeux larrons, c’est au détour de moultes ripailles et bières que vous créez le Comptoir de l’Imaginaire

[I] Que penses-tu de cette assemblée de fous compagnons de route ?
[P] C’est un peu la continuité de mon aventure théâtrale, j’ai englouti pas mal d’années dans l’association de théâtre de mon école mais tout a une fin et il a bien fallu tourner cette page pour aller faire autre chose. Heureusement, des copains ont bien voulu continuer à faire de l’impro avec moi et c’est ainsi que nous pouvons désormais voler de nos propres ailes tout en continuant à faire ce que nous aimons.
[I] Ensemble vous avez travaillé fort ardemment plusieurs formats de divertissement, en débutant par Et Si ?
[P] En effet, j’aime la liberté qu’offre le concept, libre à nous de partir dans n’importe quelle direction tout en gardant le fil directeur du Et Si ?. On peut vraiment tout faire et au final c’est ça qui est bien dans l’impro.
[I] Quel serait ton Et si de rêve ?
[P] J’ai toujours cette envie d’aller côtoyer les étoiles et de réussir à en faire une bonne impro, un Et Si qui pourrait aller dans cette direction serait du style : « Et si l’Humanité avait dû quitter la Terre ? »
[I] Ce serait sans nul doute une performance remarquable. Au Comptoir vous contez des histoires sans compter mais vous contez l’Histoire aussi dans Timeline, au spectacle au titre fort anglois ?
[P] J’aime Timeline pour la dimension historique qu’on est censé apporter et mélanger les faits historiques et les faits inventés donne une attache particulière à l’improvisation qui, quand c’est réussi, semble sortir directement de nos légendes et contes.
[I] Et tu en es amateur ! Une époque te charme en particulier ?
[P] Plus qu’une époque ça serait surtout un lieu, j’aime beaucoup le Moyen-âge scandinave. J’aime la mythologie qui y est rattaché et c’est une époque où il reste encore beaucoup à explorer de notre monde.
[I] Tu aurais aimé y vivre ?
[P] Pas sûr, ça devait quand même être une sacré merde pour y survivre.
[I] Si jamais, je viens d’acheter une Delorean sur Le bon coin, si jamais hein.
[P] Les routes sont limitées à 80 maintenant, ça ne passe plus.
[I] Enfin, vous vous réunissez pour un festival de mise en scène prénommé Directors – décidément ces anglois vous inspirent ?
[P] J’aime le fait de se faire pousser dans des environnements dont on n’a pas forcément l’habitude avec l’aide du metteur en scène. On arrive à se surprendre encore et quand ça arrive c’est souvent le signe d’une bonne impro.

[I] Y a-t-il un artiste dont la mise en scène et la réalisation t’inspire ?
[P] Pas vraiment de réalisateur préféré, par contre j’ai été assez marqué par Birdman dans son choix du plan séquence qui dure tout le film. C’était assez inattendu et plutôt bien foutu.
[I] Bon et entre nous, si tu devais préférer un de ces trois spectacles, lequel serait-ce ?
[P] Je prendrais Et Si, parce que c’est celui par lequel tout a commencé et c’est le meilleurs compromis entre liberté et surprise.
[I] [chuchotant] Promis, je le garderais pour moi !
[P] Il faudra le rendre, sinon on ne pourra plus le jouer.
[I] [Rires] Pour occire cette entrevue, quelle serait ton envie lyrique et improvisée de l’instant ? Quelle serait ta prochaine création ?
[P] J’ai envie de raconter de belles histoire qui se tiennent et qui émeuvent le public, faire rire, c’est facile, j’ai envie de faire pleurer également. Pour aller dans ce sens, une idée de concept pourrait être une biographie d’un personnage fictif, on pourrait raconter la vie d’une personne en détails. Je sais pas trop ce que ça pourrait donner mais c’est ce qui m’est venu en premier à l’esprit.
[I] Un code d’honneur pour 2019 ?
[P] Je suis toujours fidèle à ma résolution de 2011 qui est de ne plus prendre de résolutions.
[I] Sieur Patac, j’ai passé un fort bon moment en votre compagnie ! Assez festôyé, je dois conclure mon aventure !
[P] Comme dirait ce bon vieux Giscard : Au revoir.
Me demandant quelle terre gouverne le seigneur Giscard, l’hydromel me montant à la tête, je retourne à l’étage, salue le tavernier et enfourche mon cheval, m’enfuyant au galop dans les rues pavées. La redescente m’apprendrait que l’hydromel m’était bien monté à la tête et que galoper sur des pavés sans fers donne des ampoules.