Grignotant les derniers gâteaux d’Alexia, j’arrive désormais devant un vieux bâtiment qui me semble laissé à l’abandon. Je passe la grille d’entrée, mais la porte est coincée. Je suis sur le point de l’enfoncer quand elle s’ouvre subitement sur une silhouette. Elle me fait signe d’entrer et de la suivre. Nous arrivons dans ce qui ressemble à un bureau, je m’assois et reçois en guise de bienvenue une tasse d’earl grey et j’aperçois enfin le visage de mon guide.

[I] Bonjour Pierru … euh on est où là ?
[P] Au siège du Comptoir de l’Imaginaire
[I] C’est pas un siège, c’est un repère secret [rires]
[P] Si c’était secret je devrais te tuer avant que tu sortes d’ici, … mais heureusement pour toi, il te reste encore des improvisateurs à interviewer.
[I] Ah… Oui oui il m’en reste encore cinq avec toi, alors en un mot comme en cent, commençons ! C’était quoi ta première scène ?
[P] [BAAAM : bruit des dossiers qu’il pose sur la table] Ca dépend de ce que tu appelles scène. Si une table dans une fête de famille ça compte alors je devais avoir 4 ans et c’était pour chanter une chanson Disney (celle des 7 nains il me semble). Sinon c’était dans une comédie musicale en 4ème où j’interprétais Mr Jourdain (costume, perruque et souliers etc.). C’était une pièce où Molière et 3 de ses personnages masculins arrivaient à notre époque pour y observer l’évolution de la place des femmes dans la société. Franchement pour une production de collège je trouvais ça impressionnant à l’époque, et encore plus aujourd’hui avec un regard (un peu plus) expérimenté !
[I] Wow, j’aurais aimé voir ça ! Comment t’es passé de Molière à l’impro ?
[P] Je voulais faire du théâtre mais j’avais la flemme d’apprendre du texte … Plus sérieusement, j’ai découvert l’impro au lycée avec un intervenant qui nous faisait faire quelques petits exercices pour ados boutonneux en manque de confiance. Et puis quand j’ai vu qu’il y avait une équipe d’impro dans mon école d’ingénieur, j’ai sauté sur l’occasion !
[I] D’occasions en occasions tu te retrouves dans le Comptoir de l’Imaginaire ! C’est quoi cette troupe pour toi ?
[P] Je dirais que c’est la troupe de la maturité. Après avoir balbutié longtemps en impro, nous avons tous évolué, vu d’autres pratiques de l’impro que ce que nous connaissions initialement, construit et façonné notre propre vision. Meuuuuuh non, on est surtout une bonne bande de copains qui adorent jouer ensemble car on partage la même vision de l’impro après avoir eu des parcours différents … bon ok c’est peut-être un peu la troupe de la maturité.
[I] Parce que vous êtes matures au Comptoir de l’Imaginaire ?
[P] Tu veux une baffe ?
[I] … Et si on parlait des concepts maintenant ? Non … Si … Je voudrais savoir qu’est-ce que tu aimes particulièrement dans … et ben justement : Et Si ?
[P] Ce que j’aime c’est la surprise. Tu arrives dans la salle avec tes petites attentes perso pour ce que tu aimerais bien jouer, plutôt du physique, du psychologique, du drôle, du triste etc. Et là le public il arrive avec ses propositions et BAAAAAM c’est toujours surprenant et complètement inattendu !

[I] C’est vrai qu’il y a eu quelques surprises [rires]. Et si tu devais en proposer un ce serait quoi et pourquoi ?
[P] C’est super dur comme question ça. C’est qui qui t’a soufflé les questions ? Moi ? Hum bon. En y réfléchissant, il y a une proposition qui se détache : Et si on avait une bande son de notre vie en permanence ? Ça fait un moment que je me pose ça comme question parce que j’imagine que ce serait super spoilant en vrai. Quand tu vas faire un jump scare, quand tu tombe amoureux, quand tu es ridicule etc … Je sais pas comment les gens réagiraient et j’ai bien envie de voir ça. Par contre le régisseur de ce spectacle sera complètement HS en sortant du spectacle [rires] !!
[I] Pas mal, j’ai préféré la proposition du précédent cela dit.
[P] Tu veux une baffe ?
[I] C’est bon … Je te charrie … Et euh … dans Timeline c’est quoi ton petit plaisir ?
[P] J’aime beaucoup bosser les époques qui ont été choisies par le public. A chaque fois, on découvre des trucs qu’on n’aurait pas imaginé. Et puis c’est tout de même chouette d’arriver sur scène en ayant un univers de prêt avec des références communes avec le public et même des choses qu’on va pouvoir lui apprendre (même si des fois c’est pas facile de distinguer les infos historiques des autres dans le spectacle).
[I] Il y a une époque qui te passionne particulièrement ?
[P] Sans réfléchir, la Grèce Antique. Je suis fasciné par tout ce qu’ils nous ont laissé. Que ce soit en terme architectural, scientifique ou culturel, ces personnes m’impressionnent de par ce qu’elles ont accompli.
[I] Tu aurais aimé en être ?
[P] Oui mais sans y être une femme (bonjour la condition féminine à l’époque), ni esclave (bonjour la condition humaine à l’époque), ni soldat (bonjour les guerres à l’autre bout de la Méditerranée), ni artisan (bonjour la condition économique à l’époque), ni fermier (bonjour la condition paysanne à l’époque), ni sénateur assassiné (bonjour la condition politique à l’époque) … bonjour quoi.
[I] Ah oui … Bonjour … Et enfin Directors, qu’est-ce que tu aimes particulièrement dans ce format ?
[P] La liberté ! C’est le concept qui me manquait pour pouvoir faire des impros courtes et faire des histoires sans conséquences sur le reste du spectacle. Se faire un délire dans n’importe quelle direction (direction, Directors, t’as la ref ?) et pouvoir faire autre chose qui n’a rien à voir 30 seconde plus tard. Mettre les petits copains sur scène dans la merde et les voir s’en dépatouiller comme des chefs. Et vice-versa, se sortir les doigts pour sortir une bonne scène.
[I] Dépatouiller ? Ah oui … As-tu un réalisateur préféré, qui t’inspire ?
[P] Euh en réalisateurs je suis une vraie bille. J’y connais pas grand chose et j’ai pas le réflexe d’aller voir un film parce que c’est tel réalisateur. Mais il y en a un qui est quand même pas mal du tout c’est M. Night Shyamalan ! Il a toujours une scénographie qui utilise les éléments de base du cinéma mais il les utilise avec une telle maestria qu’il fait ressentir des choses très profondes par ses films. Toutes les scènes de Split avec les différentes personnalités de James McAvoy sont absolument impressionnantes et notamment celle où elles discutent entre elles en fin de film.
[I] Et t’aurais aimé jouer un de ces rôles ?
[P] Celui de James McAvoy dans Split ouais ça aurait été vraiment chouette d’essayer.
[I] Ah oui quand même … Je suis sûr que tu t’en serais bien sorti.
[P] Si tu le dis Sidonie.

[I] Euh non c’est pas mon prén… Euh oui d’accord en fait Mr le Président du comptoir, vous… enfin tu peux me nommer Sidonie. Mais euh ça peut rester entre nous ? … Bon et entre nous, justement, si tu devais choisir un seul de ces trois concepts, ce serait lequel ?
[P] En l’état actuel des choses, je choisirais Et Si car c’est celui que nous maîtrisons le plus et nous prenons toujours autant, voire de plus en plus, de plaisir à le jouer. Et puis le fait d’impliquer le public dans le spectacle ajoute un élément vraiment incontrôlable qui est super frais. D’ici quelques mois je pense que Directors sera un sérieux prétendant car on l’aura étiré, malaxé, aplati, dans tous les sens, qu’on en aura extrait la substantifique moelle.
[I] Wow, quel vocabulaire ! Promis, je le garde pour moi !
[P] Ouais alors ça j’y crois pas trop par exemple !
[I] Si si vraiment promis … J’ai une dernière petite question … Mais tout autant sérieuse … Après j’arrête de t’embêter, c’est quoi tes envies du moment en impro ?
[P] La musique et l’impro c’est trop chouette ! J’avais déjà créé un concept qui mélange ces deux disciplines et ça pourrait être une piste, mais c’est très lourd à monter avec plusieurs musiciens live … Sinon j’avais pensé à un spectacle où c’est le régisseur qui drive les impros : musiques, lumières, bruitages, tout est utilisé en point de départ et pour influencer l’impro.
[I] Tout un programme dis-moi ! Hé bien merci Pierru, j’ai passé un excellent moment en ta compagnie. En guise de conclusion je peux savoir d’où vient ton surnom ?
C’est après avoir juré sur ma vie de ne pas révéler le secret de ce surnom que je quitte Pierru. Mon orgueil de journaliste en prend un coup mais ses menaces comme son regard de méchant (qu’il sait si bien faire) semblaient véridiques … Je sors rapidement de ce manoir et je reprends la route pour entamer la seconde moitié de mon comptoirathon.