Dernier arrivé du Comptoir et pas des moindres, je toque ce matin à la porte de Pierrick Chauvet (dit Ririck pour les intimes), régisseur son et lumière officiel de la troupe. Non comédien il n’en est pas moins improvisateur ; il préfère simplement à la lumière de la scène, une boisson et la chaleur de son plaid bien installé dans sa régie. C’est d’ailleurs ainsi qu’il me reçoit chez lui pour cette interview.

[I] Bonjour Pierrick, comment ça va ?
[P] Qu’est-ce que vous faites chez moi ?
[I] …
[P] Bon bah comme vous êtes déjà rentrés … Bonjour.
[I] Chouette ! Alors on va attaquer par une question classique : ta première scène c’était quoi ?
[P] Oula, moi je vais pas sur scène, on pourrait me voir ! Ma première régie c’était il y a trois ans et c’était de l’impro. Je savais pas trop quoi faire avec mes mains. J’appuyais un peu partout parce que je connaissais pas le terrain, mais si ça criait en dessous c’est que j’avais fait une gaffe. Enfin on m’a dit que c’était bien pour une première fois, probablement pour pas vexer mon ego.
[I] Les premières fois sont toujours mémorables ! Mais pourquoi commencer à faire de la régie sur de l’improvisation ?
[P] Bah on m’a dit que c’était cool pour essayer au début et faire ses marques. Et j’ai bien aimé ça : les improvisateurs se donnent à fond, et au final on passe un bon moment sans trop de pression ! [rires]
[I] Donc trois ans de régies avant d’intégrer la troupe. Qu’est-ce qu’elle représente pour toi ?
[P] Alors je suis tout nouveau dans la troupe, on a eu quelques expériences ensemble auparavant mais rien d’officiel. Je suis content qu’on aie enfin une relation sérieuse, et j’espère que ça pourra durer. Pour moi c’est un groupe d’amis avec qui je suis content de partager une soirée de temps en temps !
[I] Je suis sûr que c’est réciproque. En tant que régisseur de la troupe tu dois composer avec les différents formats du Comptoir. Qu’est-ce que tu penses d’Et Si ?
[P] « Et Si ? » est un format génial parce que je m’amuse à créer des ambiances particulières, poser des lieux avec chacun un fond sonore et un éclairage caractéristique. C’est super intéressant de travailler sur ça pendant les premières scènes, chercher de l’inspiration, et réussir à créer une concordance entre les scènes. La grande malédiction du régisseur selon moi, c’est qu’on saura jamais si le public fait attention à cela et si notre travail a été apprécié à sa juste valeur… [verse une larme de sel]
[I] C’est tellement triste … mais maintenant ils y feront attention, c’est certain. Si tu devais proposer un Et si ce serait quoi ?
[P] Sur le vif, je dirais « Et si le café était interdit en tant que drogue ? » Imaginez tous les quadragénaires surmenés qui devraient se rouler un arabica entre deux réunions ! Sans parler des hordes d’étudiants qui rateraient leurs partiels à cause du manque, du marché « noir » qui se mettrait en place pour dealer des grammes de poudre coupée à la terre, ou encore des manifestations pleines d’accros qui cassent les usines de chocolat chaud la bave aux lèvres.
[I] Merci, je vais noter ça pour écrire mon prochain scénar’… Et si on devait parler de Timeline, qu’est-ce que tu en dirais ?
[P] Au risque de vous décevoir, le format ressemble beaucoup à « Et Si » pour la régie … Enfin les cadres sont moins loufoques, et il y a même moyen de caser quelques références sympathiques à l’époque en question.
[I] En parlant d’époque, est-ce qu’il y en une qui te passionne particulièrement ?
[P] Sans hésiter, les années 20 ! L’ambiance de salon mondain post-traumatique, à la fois chic et malsaine, ça me botte ! Enfin c’est peut-être mon obsession pour Lovecraft qui parle, mais son œuvre reflète bien les débuts du spiritisme et le sentiment d’insécurité que la guerre a installé dans le cœur des gens … Enfin je crois j’étais pas là.

[I] Et tu aurais aimé y vivre ou non ?
[P] Bah non, les régisseurs avaient pas de console numérique … ni même analogique ! Ils utilisaient quoi, des lampes à huile et des tourne-disques ? J’en ai froid dans le dos.
[I] Du coup si je trouve une Delorean sur Le bon coin …
[P] Ah mais on vous a menti, tentez pas le 90 miles par heure sur l’autoroute vous allez juste vous faire flasher. Ou pire, renverser un gilet jaune en plein mariage.
[I] Zut, je me suis fait arnaquer alors ? Troisième format, le petit dernier, comme toi, qu’est-ce que tu aimes particulièrement dans Directors ?
[P] Ah Directors, c’est la porte ouverte à toutes les vérandas ! L’occasion d’explorer des univers très variés, de passer du coq à l’âne à tout va, c’est un vrai rafraîchissement … Enfin du coup, c’est pas facile à mettre en son et lumière. Y’a un certain challenge dans le fait d’arriver à improviser une ambiance à chaque changement de scène, et de s’adapter aux directives du réal. Du coup c’est très sympa à faire, et on m’accorde quelques improvisations un peu osées, alors je me prive pas!
[I] As-tu un réalisateur préféré, qui t’inspire ?
[P] Quentin Dupieux. Je suis complètement fan de ses ovnis cinématographiques, sa façon de ne rien se refuser dans ses œuvres et d’aller au bout de ses délires. Et on se sait jamais à quoi s’attendre, que ce soit avant, pendant ou même à la toute fin du film : un véritable virtuose des retournements de situation, et de cerveau.
[I] Et t’aurais aimé jouer un de ces rôles ?
[P] Je suis pas sûr que ma santé mentale aurait survécu au tournage … Mais quitte à finir dans un asile, autant que ce soit par sa faute.
[I] Allez, dernière question sérieuse après j’arrête de t’embêter, si tu devais créer un nouveau concept là tout de suite avec le Comptoir, ce serait quoi
[P] Alors moi je trouve que les régisseurs sont pas assez mis en valeur maintenant que vous le dîtes. C’est vrai quoi, tout en blanc et sans musique ils se retrouveraient bien bêtes ! Alors mon concept : des impros dirigées PAR le régisseur! Voilà mon plan pour laisser déborder mon énergie créatrice ! Une musique langoureuse ? Les improvisateurs se prennent dans les bras. Quand soudain PAF ! un coup de feu ! L’un d’eux meurt dans d’atroces souffrances ! Une douche de lumière arrose le coupable et tous le dévisagent …
[I] Intéressant ! Ce serait une bonne occasion de montrer au public la puissance d’une régie. Merci Pierrick pour ce moment, je suis content de t’avoir mis en lumière le temps de cette interview [rires]
[P] J’ai aussi passé un bon moment, on peut se revoir si vous y tenez …
Malgré le confort du plaid et du canapé, je prends congé de Pierrick qui me salue sur le pas de sa porte. J’espère que vous en savez désormais plus sur cette figure de l’ombre. De mon côté, je reprends la route, bravant le froid, direction le prochain improvisateur.